samedi 17 juin 2017

Un Commissaire européen s'exprime en Espéranto



Dr Vytenis ANDRIUKAITIS 

Commissaire Européen à la Santé et à la Sécurité Alimentaire
lors de la Conférence de l’Europa Esperanto-Unio (Union Espérantiste Européenne)
dans le cadre du 94e Congrès Allemand d’Espéranto, Freiburg im Breisgau, 3 juin 2017

Exposé présenté en Espéranto. Voir texte original ci-dessous.

Zamenhof, précurseur des Droits de la Personne

Je remercie cette conférence générale de l’Union Espérantiste Européenne ainsi que l’Association Allemande d’Espéranto pour leur invitation.


Cette année, nous fêtons le centième anniversaire de la mort du Dr Ludwik Zamenhof, penseur, poète et visionnaire, l’initiateur de l’espéranto, qui a été reconnu par l’UNESCO en 1959 comme “l’une des grandes personnalités de l’humanité”. Agé de 130 ans, l’espéranto est actuellement utilisé quotidiennement dans plus de 120 pays et à travers le monde plus de 1’500 rues portent de nom “Espéranto” ou “Zamenhof”. En tant que Lituanien et médecin, comme le Dr Zamenhof, je m’exprime ici avec un immense plaisir.

Umberto Eco a écrit : “Les gens perçoivent l’espéranto comme la proposition d’un instrument. Ils ne savent rien de l’élan idéal qui l’anime. C’est pourtant la biographie de Zamenhof qui m’a enchanté. Il faudrait que l’on fasse mieux connaitre cet aspect-là”. 

J’aimerais évoquer quelques aspects de la vie et des écrits de Zamenhof, médecin et oculiste apprécié qui soignait gratuitement des pauvres. Les espérantistes le connaissent spécialement comme  l’initiateur de la seule langue construite vivante qui a vu le jour à Varsovie le 26 juillet 1887. On oublie souvent que plus de 900 projets de langues ont été lancés pour doter l’humanité d’une langue commune, mais que tous ont échoué, sauf le sien! Cependant, aujourd’hui mon thème principal sera l’objectif le plus politique de Zamenhof comme précurseur des Droits de la Personne et comme défenseur passionné de la paix, le droit le plus fondamental. Pour comprendre sa contribution dans ce domaine, il est nécessaire de dire quelques mots sur les circonstances historiques au XIXe siècle de cette partie de l’Europe où il est né.

Zamenhof, qui était juif, est né le 15 décembre 1859 à Bialystok, actuellement en Pologne orientale, mais qui se trouvait alors dans la province lituanienne de l’Empire Russe. Ses liens avec la Lituanie sont nombreux, entre autres il a épousé Klara Zilbernik, native de Kaunas. A l’époque de la jeunesse de Zamenhof, Bialystok était une ville de 30’000 habitants avec quatre communautés linguistiques, où l’on entendait dans les rues parler le russe, l’allemand, le polonais et même le lituanien. La langue la plus utilisée était le yiddish car à cette époque environ deux tiers des habitants étaient des juifs. Zamenhof fut frappé par le manque de compréhension, ce qui engendrait une constante inimitié et des conflits, parfois violents, entre les communautés linguistiques qui ne comprenaient pas la langue des voisins. C’est la raison pour laquelle il sentit que le premier pas vers un rapprochement et la paix serait d’avoir un moyen de communication linguistique, relativement facile à étudier, qui permettrait à tous de se rencontrer comme des égaux et avec lequel les plus forts n’imposeraient plus leur langue aux autres.

Durant toute la vie de ce créateur, l’inspiration fondamentale du travail de Zamenhof fut de résoudre tout conflit ou guerre par la paix, l’harmonie et la collaboration. La langue qu’il a promue, l’espéranto, n’était qu’un outil, mais un outil très important pour atteindre ce but. En 1915 il a publié son “Appel aux diplomates” dans lequel il élaborait quelques principes pour que la paix, qui suivra la Première Guerre mondiale, ne soit pas qu’une trêve temporaire, mais une paix durable. Deux principes étaient significatifs : d’une part l’égalité, ou une estime réciproque de tous les pays et de toutes les ethnies dans chaque pays, et, d’autre part, un appel pour la création des Etats-Unis Européens, avec une Cour Européenne supranationale pour assurer que chaque gouvernement national et que tous les citoyens respectent les règles consenties. Voici de quelle façon Zamenhof s’est exprimé :

Souvenez-vous, souvenez-vous, souvenez-vous, que la seule manière d’atteindre une telle paix est d’éliminer une fois pour toute la principale cause des guerres, les vestiges barbares de la plus antique civilisation, la suprématie des premières tribus sur les autres”.


De façon très réaliste et clairvoyante, Zamenhof avait prévu l’Union Européenne plus de 40 ans avant le début de l’intégration européenne. De manière tragique, l’Europe devait subir un autre conflit mondial, beaucoup plus cruel que le premier, avant que la majorité n’admette finalement qu’un code de conduite légalement obligatoire était indispensable entre des nations et entre des peuples, et qu’une souveraineté nationale débridée conduit inéluctablement à une guerre. Il l’avait clairement prévu dans son “Appel aux diplomates”, mais l’on n’a nullement tenu compte de ses avertissements.

Des détracteurs de Zamenhof ont parfois affirmé que c’était un antipatriote et qu’il voulait remplacer les nations par une humanité informe, sans traditions. En réalité il a très clairement fait la distinction entre le sens du vrai patriotisme – amour de son propre pays – et le chauvinisme – mépris et haine envers les autres pays. Il a loué le patriotisme en écrivant des poèmes sur sa “Chère Lituanie”. Mais, malgré son tempérament doux, il a très fortement condamné le chauvinisme : 
                              “Maudite, mille fois maudite soit la haine interraciale”!

Le poète écossais William Auld s’est inspiré, pour son poème “La Infana Raso” [La race enfantine], écrit en espéranto, de l’idée que la grande majorité des guerres et des conflits actuels souligne que l’humanité se conduit comme un enfant de deux ans qui insiste sur ses propres intérêts, mais ignore les intérêts des autres. Quiconque a eu des enfants connait la grande évolution de leur conduite entre deux et trois ans. Cependant, lorsqu’il s’agit de toute l’humanité, il est clair qu’une grande partie de cette évolution ne s’est pas encore réalisée. Zamenhof a compris que, si la paix devait être durable, elle devrait se baser sur la justice. Il a clairement vu que l’injustice conduit à la rancoeur et à la vengeance qui, plus ou moins rapidement, dégénèrent en conflit. L’idée de justice inclut également une justice linguistique et, dans ce sens, il était de loin plus moderne que notre société actuelle. Il avait conscience que l’emploi d’une langue ethnique comme “lingua franca” – que ce soit l’anglais, le français, l’allemand ou le chinois – octroie des privilèges injustes, des privilèges viagers aux locuteurs natifs de cette langue, ce qui désavantage injustement la majorité de l’humanité.

Dans ce sens, Zamenhof est en avance sur son temps de plusieurs siècles. Même actuellement, cent ans après sa mort, une grande partie de l’humanité ne comprend pas encore ses idées fondamentales. Il souligne l’unité essentielle de la race humaine. Ses idées comprennent aussi la sphère religieuse pour laquelle il propose que tous ont évidemment le droit de croire, ou de ne pas croire, et que toutes les religions ont le droit de conserver les particularités de leur propre doctrine, mais que ce serait préférable pour l’humanité si les religions soulignaient les traits communs, et non les points sur lesquels elles divergent.

Je terminerai avec quelques vers de la célèbre “Prière de Zamenhof” sous le drapeau de couleur verte, qui exprime parfaitement l’idée interne, l’idéal qui anima l’espéranto et aida à sa diffusion dans toutes les parties du monde au cours de cinq générations. Lors du premier Congrès Mondial de l’espéranto à Boulogne-sur-Mer en 1905, ce fut le point de discorde le plus controversé. Les espérantistes français, qui craignaient l’antisémitisme après l’affaire Dreyfus, insistèrent auprès de Zamenhof pour qu’il renonce à la dernière strophe, et plus spécialement aux vers suivants : 

Chrétiens, juifs, musulmans,
Nous tous fils de Dieu.

Zamenhof accepta de ne pas lire cette strophe, à contre coeur. Actuellement, 112 ans après, plus important que jamais est son appel à l’unité et à la paix entre les chrétiens, les juifs et les musulmans, entre les hommes de toutes les religions et les non-croyants.

Nous pouvons apprendre énormément de l’étude des oeuvres de Zamenhof, non seulement sur l’espéranto, mais aussi sur tout ce qui a trait au changement profond de la conduite humaine qu’il pensait nécessaire pour assurer une cohabitation pacifique des nations. En tant que Commissaire Européen à la Santé et à la Sécurité Alimentaire, je considère comme un grand honneur d’être aujourd’hui parmi vous pour honorer ce grand homme et pour que nous fassions nôtres les idéaux de paix et de justice auxquels il a consacré toute sa vie.

Vytenis ANDRIUKAITIS


Version française de l’exposé présenté en espéranto.
Texte original ci-dessous.

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Zamenhof – antaŭulo de homaj rajtoj

Mi volas danki al ĉi-tiu komuna konferenco de la Eŭropa Esperanto-Unio kaj la Germana Esperanto-Asocio por la invito partopreni.
Ĉi-jare ni festas la centjariĝon de la morto de d-ro Ludoviko Zamenhof, pensulo, poeto kaj viziulo, la iniciatinto de Esperanto, kiu estis agnoskita de UNESKO en 1959 (mil naŭcent kvindek naŭ) kiel "unu el la grandaj personecoj de la homaro". Esperanto nun aĝas 130 (cent trikek) jarojn kaj estas en ĉiutaga uzo en pli ol 120 (cent dudek) landoj, kaj estas pli ol 1.500 (mil kvincent) stratoj tra la mondo kiuj nomiĝas "Esperanto" aŭ "Zamenhof". Kiel litovo, kuracisto kiel D-ro Zamenhof, kaj kiel parolanto de Esperanto, estas por mi granda plezuro paroli ĉi tie.
Umberto Eco iam skribis: “Homoj ĉiam perceptas Esperanton kiel la proponon de iu ilo. Ili scias nenion pri la idealo kiu vivigas ĝin. Tamen estas la biografio de Zamenhof kiu sorĉis min. Endas pli bone konatigi tiun aspekton."
Mi ŝatus paroli pri kelkaj aspektoj de la vivo kaj verkoj de Zamenhof. Li estis ŝatata kuracisto kaj okulisto, kiu traktis malriĉulojn senpage. La fakto ke li iniciatis la solan vivantan lingvon, kies naskiĝdaton kaj lokon, la 26-an de julio 1887 (dudek sesan de julio mil okcent okdek sep) en Varsovio, estas konata, aparte de esperantistoj. Oni ofte forgesas, ke estis pli ol 900 provoj dum la historio por krei komunan lingvon por la homaro - ĉiuj el ili malsukcesis krom la provo de Zamenhof! Tamen, mia ĉefa temo hodiaŭ estos la pli politika atingo de Zamenhof, kiel antaŭulo de homaj rajtoj kaj kiel pasia defendanto de paco, la plej baza homa rajto. Por kompreni la kontribuon de Zamenhof en ĉi tiu kampo, endas diri kelkajn vortojn pri la historiaj cirkonstancoj en la 19-a jarcento en la parto de Eŭropo de kiu li venis.
Zamenhof estis judo kiu naskiĝis en Bjalistoko la 15-an (dekkvinan) de decembro 1859 (mil okcent kvindek naŭ). Bjalistoko estas nun en orienta Pollando, sed tiam ĝi troviĝis en la litova provinco de la Rusa Imperio. Liaj ligoj kun Litovio estas multaj, interalie ke li edziĝis kun knabino de Kaunas, Klara Zilbernik. Dum la juneco de Zamenhof Bjalistoko estis urbo de 30.000 loĝantoj kaj estis tre plurlingva: la rusa, la germana, la pola, la belorusa, eĉ la litova, aŭdiĝis en ĝiaj stratoj. La plimulta lingvo estis la jida, ĉar ĉirkaŭ du trionoj de la tiama loĝantaro de Bjalistoko estis judoj.  Zamenhof estis frapita per la manko de kompreno, kiu kaŭzis konstantan malamikecon kaj konfliktojn inter la lingvokomunumoj. Kelkfoje tiuj konfliktoj estis perfortaj. Ili ne komprenis la lingvon de la najbaro. Tial Zamenhof sentis ke la unua paŝo al repacigo kaj paco estus havigi al ili komunikilon - lingvo, tre facile lernebla, kie  ĉiuj povus renkontiĝi kiel egaluloj kaj kie la fortuloj ne plu altrudus sian lingvon al la aliaj.
La kerna inspiro de la vivlaboro de Zamenhof estis anstataŭigi konflikton kaj militon per paco, harmonio kaj kunlaboro. La lingvo kiun li iniciatis, Esperanto, estis nur ilo, kvankam grava ilo, por atingi tiun celon. En 1915 Zamenhof publikigis sian Alvokon  al la Diplomatoj en kiu li ellaboris kelkajn principojn por ke la paco kiu sekvos la Unuan Mondmiliton ne estu nur portempa batalhalto, sed daŭripova paco. Du principoj estas signifaj: la egaleco, aŭ egaleco de estimo, de ĉiuj landoj kaj de la etnoj ene de ĉiuj landoj; kaj alvokon por la starigo de Unuiĝintaj Ŝtatoj de Eŭropo, kiu devus havi supernacian Eŭropan Kortumon por certigi ke ĉiu nacia registaro kaj ĉiujn civitanojn respektu la konsentitajn regulojn.  Jen kiel Zamenhof esprimiĝis per propraj vortoj:
Memoru, memoru, memoru, ke le sola maniero. por atingi tian pacon estas: forigi unu fojon por ĉiam la ĉefan kaŭzon de militoj, la barbaran restaĵon el la plej antikva antaŭcivilizacia tempo, la regadon de unuj gentoj super aliaj gentoj.
En tre reala senco, la klarvida Zamenhof antaŭvidis la Eŭropan Union, pli ol 40 jarojn antaŭ la komenco de eŭropa integriĝo. Tragike, Eŭropo devis suferi alian mondmiliton, multe pli terura ol la unua, antaŭ ol la plimulto fine komprenis, ke oni leĝe-devigebla kondutkodo necesas inter nacioj kiel inter unuopuloj, kaj ke senbrida nacia suvereneco nepre kondukas al milito. Zamenhof klare antaŭvidis tion en sia Alvoko al la Diplomatoj, sed oni ne atentis liajn avertojn.
Kritikistoj de Zamenhof kelkfoje aserti ke li estis kontraŭpatriota, kaj ke li volas anstataŭigi naciojn per senforma, sentradicia homaro. Fakte, li tre klare disigis la sencon de vera patriotismo - amo al la propra lando - de ŝovinismo – malŝato kaj eĉ  malamo por aliaj landoj. Patriotismon li laŭdis, skribante poezie pri sia "kara Litovujo; sed ŝovinismon la kutime milda Zamenhof kondamnis ege forte:
Malbenita, milfoje malbenita estu la intergenta malamo. 
La skota poeto William Auld, bazigis sian ofte tradukatan poemon en Esperanto, La Infana Raso, je la ideo ke la plej multaj el niaj nunaj militoj kaj konfliktoj montras ke la homaro kondutas sin kiel 2-jaraĝa infano, kiu insistas pri siaj propraj interesoj sed ignoras la interesojn de ĉiuj aliaj. Iu ajn kiu havis infanojn konas la grandegan evoluon de ilia konduto inter la aĝoj de 2 kaj 3. Kiam temas pri la tuta homaro, tamen, klaras ke granda parto de tiu evoluo ankoraŭ ne okazis. Zamenhof komprenis, ke se la paco devos esti daŭra, ĝi devos baziĝi je justeco. Li vidis klare ke maljusto kondukas al rankoro kaj venĝemo, kiuj frue aŭ malfrue kondutas al konflikto. Lia ideo de justeco entenis ankaŭ lingvan justecon, kaj en tiu senco li estis multe pli moderna ol nia hodiaŭa socio. Zamenhof vidis ke le uzo de iu ajn etna lingvo kiel lingua franca - ĉu la angla, la franca, la germana aŭ la ĉina – kunportas nemeritajn, dumvivajn privilegiojn por la denaskaj parolantoj de tiu lingvo, kaj metas la plejmulton de la homaro je dumviva kaj maljusta malavantaĝo.
En la ĉi-supra senco Zamenhof antaŭeniras sian tempon per jarcentoj. Eĉ nun, 100 jarojn post lia morto, granda parto de la homaro ankoraŭ ne komprenas liajn radikalajn ideojn. Li substrekis la fundamentan unuecon de la homa raso. Liaj ideoj entenis ankaŭ la religian sferon, kie li proponis ke, kompreneble ĉiuj rajtas kredi, aŭ ne kredi, kaj ke ĉiuj religioj rajtas konservi ĉiujn detalojn de la propra doktrino, pli bonus por la homaro, se religioj substrekus la komunajn trajtojn kaj ne la aferojn kie ili malkonsentas.
Mi finiĝas per kelkaj versoj de la fama Zamenhofa Preĝo sub la verda standardo, kiu bone esprimi bone la internan ideon, la idealon kiu vivigis Esperanton kaj helpis ĝin disvastiĝi al ĉiuj partoj de la la mondo dum kvin generacioj. Je la unua Esperanto-konferenco en Bulonjo sur Mer en 1905 tio estis la plej polemika elemento en la parolado de Zamenhof. La francaj Esperantistoj, kiuj timis kontraŭjudismon post la Afero Dreyfus, insistis ke Zamenhof preterlasu la finan strofon, kaj aparte la sekvajn versojn:
Kristanoj, hebreoj aŭ mahometanoj
ni ĉiuj de Di' estas filoj
Zamenhof konsentis ne legi tiun strofon, kontrau sia pli bona juĝo. Nuntempe, 112 jarojn poste, la zamenhofa alvoko al unueco kaj paco inter kristanoj, judoj kaj islamanoj, inter homoj de ĉiuj religioj kaj de neniu religio, estas pli grava ol iam ajn.
Ni povas gajni tre multe de la studado de la verkoj de Zamenhof, ne nur pri Esperanto, sed antaŭ ĉio pri la profunda ŝanĝo de homa konduto kiun li opiniis necesa por certigi la pacan kunvivadon de nacioj. Kiel Eŭropa Komisionano por Sano, estas por mi granda honoro esti kun vi hodiaŭ por honorigi tiun grandan homon, kaj por ke ni alprenu kiel niajn proprajn la idealojn de paco kaj justeco por kiuj li donis sian tutan vivon.

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